Les personnes handicapées prêtes à aller en justice pour l'accessibilité

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) examine aujourd’hui une affaire portant sur l’accessibilité aux universités. L’Association des paralysés de France (APF) compte multiplier les contentieux judiciaires afin d’accélérer la mise aux normes des bâtiments publics.

Sur quoi porte l’audience de la CEDH ?

C’est un Roumain de 32 ans, Razvan Mihai Gherghina, qui retiendra aujourd’hui l’attention des juges de Strasbourg. Victime en 2001 d’un accident l’ayant laissé paraplégique, le jeune homme réclame depuis de pouvoir poursuivre ses études à l’université. Sans succès. Faute d’accès adapté des établissements du supérieur, il n’a eu d’autre choix que de suivre ses cours par correspondance. Le trentenaire dénonce donc l’impossibilité qui lui est faite de « développer sa personnalité et de nouer des contacts avec le monde extérieur en raison de l’absence de moyens adaptés à ses déficiences locomotrices ». Pour son avocat, Bucarest viole le « droit à l’instruction » garanti par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme. De même que l’article 8, qui consacre le « respect de la vie privée ».

En quoi la France est-elle concernée ?

Pour le moment, cette affaire ne concerne en rien la France. Si ce n’est qu’une condamnation de la Roumanie pourrait relancer le débat portant sur l’accessibilité des bâtiments scolaires chez nous. Et inciter les personnes handicapées à ester en justice dans l’espoir, in fine, de faire condamner la France. C’est exactement ce qui s’était passé, il y a cinq ans, en matière de garde à vue. Une banale affaire turque – et la condamnation d’Ankara qui s’en était suivie (1) – avait amené les avocats hexagonaux à porter le sujet devant la CEDH. Paris avait, sans surprise, été condamné. Depuis, toutes les personnes placées en garde à vue peuvent bénéficier de la présence d’un avocat à leur côté. Il faudra donc regarder de très près le sort fait à l’affaire Gherghina.

Va-t-on vers une multiplication des procédures ?

En France, le législateur a pris à bras-le-corps la question de l’accessibilité. La loi de 2005 a ainsi donné dix ans aux établissements accueillant du public pour mener les travaux nécessaires. Voilà pour le principe. Dans les faits, c’est plus compliqué… « La loi est malheureusement loin d’être appliquée aujourd’hui, déplore Bénédicte Kail, conseillère nationale à l’Association des paralysés de France (APF). Les universités ont certes fait un effort, mais aucune d’elles n’est totalement accessible. Seuls certains amphis le sont… » La situation des lycées est plus préoccupante encore, puisque certains sont dans l’incapacité d’accueillir les élèves en fauteuil. Un nouveau délai (entre six et neuf ans) vient de leur être accordé pour se mettre en conformité. Ce qui scandalise l’Association des paralysés de France (APF). « Nous sommes furieux qu’un nouveau moratoire ait ainsi été adopté, s’emporte Nicolas Mérille, chargé de la question de l’accessibilité à l’association. Nous comptons désormais aller devant les tribunaux. En multipliant les contentieux, nous espérons accélérer les choses ! » La judiciarisation permet parfois de faire avancer certaines causes, comme l’ont montré ces dernières années les décisions rendues en faveur des personnes détenues ou des couples homosexuels.

La voie juridique est-elle la solution ?

Certaines associations mettent toutefois en garde contre la multiplication des contentieux. C’est notamment le cas de Damien Birambeau, président de Jaccede, un mouvement visant à sensibiliser les citoyens à la question de l’accessibilité. « Nous ne sommes pas opposés au fait d’ester en justice. Pour notre part cependant, nous pensons que c’est plutôt en jouant sur la prise de conscience du grand public que nous ferons bouger les lignes » , estime l’intéressé. Sa structure propose ainsi à ceux qui le veulent de passer quelques heures en fauteuil afin de prendre la mesure des obstacles rencontrés. 12 000 personnes ont déjà répondu à l’appel. À entendre Damien Birambeau, les recours en justice risquent d’obliger les pouvoirs publics à agir vite sans réellement se concerter avec les associations. « Or nous devons absolument travailler main dans la main, renchérit-il. En effet, un lieu mis aux normes n’est pas forcément un lieu commode pour nous. Il n’y a qu’en consultant les personnes concernées qu’on pourra vraiment mettre en place des espaces pratiques d’accès. »

(1) Dayanan contre Turquie, 2009

Source : La Croix 12/11/2014 MARIE BOËTON

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